Chine; Réalisé par Zhang Wei IMDb – Douban
Mettant en vedette Yao Anlian et Tang Yan (The Assembly)
Avec la crise économique de 2008, la production internationale a chuté, affectant particulièrement l’Usine du Monde, soit l’industrie manufacturière chinoise. Dans une ville industrielle comme Shenzhen, des centaines d’usines ont fermé leurs portes pendant la crise et celles qui ont survécu ont vu leur marge de profit drastiquement réduite. Ceci ne fut pas sans drames sociaux : diminution de la qualité des conditions de travail et défaut de paiement de salaires des employés, parfois reportés sur plusieurs mois avant d’être finalement payé, ou non.
Le film raconte l’histoire d’une de ces usines du point de vue de ce personnage abstrait dont on tente souvent de pointer du doigt pour accuser de tous les torts des conditions de travail dans une usine : le patron de l’usine.
Verdict
Dans une industrie cinématographique chinoise encore immature et produisant essentiellement des films de divertissement aux propos superficiels, un drame aussi politiquement impliqué comme Le patron de l’usine est rafraîchissant.
Le film débute avec le patron qui négocie un contrat avec une grande compagnie américaine de jouets. La compagnie américaine souhaite revoir à la baisse une entente précédemment négociée mais non signée. Le patron de l’usine se voit dans l’obligation d’accepter un contrat avec une marge de profit quasi inexistante. Le contrat est toutefois crucial puisqu’il permettra à l’usine d’obtenir la liquidité nécessaire pour payer les employés qui n’ont pas reçu de salaire depuis six mois en raison de l’absence de contrats. Il faut aussi payer les frais pour réparer le système d’aération, mais le manque de liquidité empêche à peu près tout investissement. En somme, de l’argent il n’y en a plus et l’exécution de ce contrat permettra au patron de rétablir la situation, il est donc primordial que le contrat se déroule bien.
L’ambiance qui s’installe alors est celle d’un thriller : on ressent vraiment la tension des situations qui se présentent au patron de l’usine, et on admire le sang froid et l’aplomb avec lequel il y fait face, même lorsque les nouvelles sont très mauvaises. Le prix du pétrole augmente, signifiant que le coût du plastique augmentera dans une semaine, que faire lorsqu’on a besoin de cette ressource et que les coffres sont vides? On choisi un plastique de moins bonne qualité, réduisant la qualité des produits? Les employés font la grève, mais ils ne comprennent pas que le rétablissement de leurs conditions dépend du succès de l’exécution de ce contrat. Ils se tirent dans le pied en minant la production de ce contrat, mais c’est le patron de l’usine qui doit gérer et les convaincre que de poursuivre le travail est dans leur intérêt à eux aussi.
Il n’y a pas de vilain clair comme dans d’un thriller standard, mais le film réussit si bien à illustrer la tension à laquelle fait face le patron de l’usine qu’on ressent son quotidien, dans cette période de crise, comme si on était à sa place, et cette claque de réalisme crée un étonnant thriller. Chacune des parties prenantes est à la fois la victime et le bourreau de ce thriller. Les dissidents de l’usine et la journaliste infiltrée sont les vilains du patron car ils ne comprennent pas que leurs actions mettent en péril l’achèvement du contrat, condition essentielle au rétablissement des conditions de travail. Eux voient le patron comme le vilain puisqu’il enfreint les lois du travail, et peu importe son contexte, il ne devrait pas enfreindre les lois du travail.
En plus d’être captivant, il s’agit d’un film dénonçant avec justesse les conséquences de la consommation de produits « Made in China », la recherche du prix de fabrication le plus bas sans égard aux conditions de travail des employés, le contexte éphémère d’une telle industrie pour les PME étrangères qui y œuvrent.
Des simples ouvriers aux intendants, du patron de l’usine aux représentants gouvernementaux et de la compagnie américaine, les personnages sont bien construits et on comprend d’où ils viennent et leur motivation. Le casting à cet égard est formidable. Outre le représentant de la compagnie américaine qui semble avoir été « le blanc de service » choisi par défaut parce qu’il était en Chine, le reste du casting offre une solide performance, principalement Yao Anlian qui rend avec justesse la quasi-totalité du spectre émotionnel. (Mise à jour : Yao Anlian a remporté le Prix d’interprétation masculine au FFM!)
Conclusion
Le réalisateur a affirmé que son film a passé les étapes de vérification pour la censure en Chine et que la version qui nous a été présenté au Festival des Films du Monde serait celle qui sera présentée dans les salles chinoises, sortie prévue en octobre. C’est surprenant vu l’aspect dénonciateur de conditions sociales locales, je suis très curieux de voir si le film sortira vraiment tel quel, et aussi, curieux de la réponse du public chinois qui n’est pas habitué à des drames aussi sérieux que Le patron de l’usine.
Le film a tout pour réussir : script à la fois poignant, captivant et enrichissant, ambiance intense, acting on ne pourrait plus convainquant. Ne reste plus qu’à te souhaiter que le film te soit accessible un jour…